ALLAOUI BAAYA GOETHE L’AMOUR DES ARTS AU SERVICE DE LA NATION ALLEMANDE
A l’occasion d’un discours au Québec, en octobre 1963, André Malraux, écrivain et ministre d’Etat chargé des Affaires culturelles sous Charles de Gaulle, déclare : “La culture est l’héritage de la noblesse du monde. […] Et en définitive, la définition de l’œuvre d’art, c’est ce qui a échappé à la mort.” L’art comme moyen de vivre encore après la mort, de laisser un peu de soi à la postérité, Goethe l’avait bien compris.
Cet écrivain germanophone naquit en 1749 à Francfort, dans le Saint-Empire romain germanique
Dans une famille bourgeoise aisée. Ses études lui permirent d’accroître sa culture littéraire. Le 7 novembre 1775, il arriva dans la ville de Weimar, dont la duchesse, Anna Amalia, cherchait à développer le rayonnement culturel. Très vite, le jeune homme se lia d’amitié avec le futur duc de Saxe-Weimar, Carl August. Cette amitié le poussa à accepter différentes charges gouvernementales au sein du petit duché, dans lequel il finit sa vie en 1832. En outre, ses écrits, notamment Les Souffrances du jeune Werther en 1774, eurent un grand succès en Europe, à un moment où le roi de Prusse, Frédéric II, affirmait qu’il n ‘y avait pas de littérature allemande digne de ce nom. Homme politique, homme de lettres, mais également homme de sciences, Goethe s’intéresse à toutes les disciplines, à toutes les cultures. C’est un homme du monde qui a pris soin de l’image qu’il souhaitait laisser. Les documents que nous allons présenter en sont de bons exemples.
Tout d’abord, Johann Peter Eckermann écrit trois volumes de Conversation de Goethe pendant les dernières années de sa vie (1822-1832). C’est un admirateur de Goethe qui a su susciter l’intérêt du poète en lui envoyant ses poèmes. Ainsi, il est devenu son assistant littéraire, puis précepteur du fils du grand-duc de Saxe-Weimar-Eisenach. Il s’est également chargé de publier les œuvres posthumes de Goethe. Les deux premiers volumes de ses conversations, dont est tiré notre extrait, ont probablement été relus et corrigés par le poète lui-même. Cependant, Eckermann a pu effectuer quelques modifications lors de la publication en 1848. Cet ouvrage rapporte donc les échanges entre Goethe et Eckermann durant les dix dernières années de vie du poète. Il contribue alors à laisser une certaine image de Goethe à la postérité. Ainsi, il s’adresse aux personnes s’intéressant à la vie de l’écrivain. En outre, ce texte est écrit à une époque durant laquelle la “nation allemande” n’a pas de territoire qui lui est propre. La question de son identité se pose. Elle est prise entre l’Autriche et la Prusse, et a dû subir la domination napoléonienne. A la mort de Goethe, Weimar fait alors partie de la Confédération Germanique. Lors de la réédition de l’œuvre en 1863, le nationalisme allemand se développe de plus en plus et Goethe est présentée comme une figure importante de celui-ci.
Toujours dans la préparation de sa postérité, en 1822 un portrait de Goethe est réalisé par Heinrich Christoph Kolbe. Ce peintre, issu de l’Ecole des beaux-arts de Düsseldorf, a réalisé des portraits du poète ainsi que de Carl August alors qu’il était à Weimar. C’est dans cette ville que décède le poète en mars 1832.
Mort à la suite de la mort de l’auteur , un article s’apparentant à un éloge funèbre est publié dans la Nouvelle revue germanique : recueil littéraire et scientifique. L’article est signé “R…”,
Aussi, on suppose qu’il pourrait s’agir du pasteur et superintendant de Weimar, Röhr, qui a prononcé l’oraison funèbre de Goethe à son enterrement.
Goethe laissa derrière lui une maison regorgeant d’œuvres d’art, si bien que le musée Goethe est créé en 1885 par le grand-duc Carl Alexandre. La salle Junon dans laquelle sont présentes ses oeuvres a été photographiée en 1904 par un anonyme. Peut-être s’agissait-il d’un simple visiteur du musée.
De surcroît, Goethe continue d’être représenté à travers d’autres œuvres d’art, telles que le tableau La muse de Goethe peint par Wilhelm von Kaulbach. Cette peinture a ensuite fait l’objet d’une gravure en 1860, dans un contexte de développement du nationalisme allemand. Le peintre a également étudié à l’Ecole des beaux-arts de Düsseldorf et a irllustré le Reinicke Fuchs de Goethe en 1841. L’adaptation de l’œuvre sous forme de gravure permet peut-être une diffusion plus grande. En effet, une estampe est de taille plus petite qu’un tableau. Elle peut être imprimée et diffusée au plus grand nombre.
Enfin, un dernier document, peut-être une gravure anonyme, représente l’inauguration du monument à Goethe à Francfort-sur-le-Main, sa ville natale, en 1844.
Il convient donc de se demander comment l’image de Goethe s’est construite dans un contexte de recherche d’une identité allemande.
Pour répondre à cette question, nous présenterons d’abord l’homme politique, puis le polymathe. Enfin, nous étudierons la mythification de Goethe.
Tout d’abord, Goethe évolue dans un espace géographique changeant. C’est un homme de la fin du Saint-Empire romain germanique, puis de la Confédération Germanique. Il appartient à une nation allemande qui ne possède pas d’espace géographique pour la représenter. Cet espace est qualifié d’”Allemagne”.Or, l’Allemagne n’a pas d’existence territoriale, institutionnelle, ni même politique avant 1870. Il serait donc plus juste de le qualifier d’”espace germanique”. Cet espace hétérogène comprend environ 350 États, ainsi que la Prusse. Si le Saint-Empire romain germanique existe toujours à la fin du XVIIIe siècle, il disparaît en 1806, laissant place à une vingtaine d’Etats indépendants ayant chacun un souverain et une politique qui leur sont propres. Est alors qu’est réée la Confédération du Rhin, sous la domination napoléonienne. Celle-ci s’achève avec la défaite de l’Empereur. S’ensuit la création de la Confédération Germanique. Aussi, la “nation allemande” ne dispose pas à cette époque d’un espace géographique pour la représenter, comme le déplore Goethe, d’après Eckermann,: “Nous n’avons aucune ville, nous n’avons aucun pays dont nous puissions dire positivement : ici, c’est l’Allemagne !”. En effet, les différents États germaniques ont toujours subi l’hégémonie de la Prusse, “à Berlin, on dira : ici, c’est la Prusse.
De l’Autriche, “à Vienne, on dira : ici, c’est l’Autriche mais également de la France. Cette dernière puissance frontalière participa à la construction de l’histoire de l’Allemagne. , les propos de Goethe rapportés par Eckermann décrivent la situation de l’espace germanique en opposition à celle de la France : “Paris est la France”
Contrairement à l’espace germanique, la France est un État centralisé, “tous les intérêts importants de la grande patrie se concentrent dans la capitale” ,notamment d’un point de vue culturel et politique. Elle est connue à l’étranger grâce à sa capitale, Paris. Cependant, résumer la France à sa seule capitale est réducteur. En effet, au début du XIXe siècle, la France est un pays majoritairement rural. Les conditions de vie entre les campagnes et les villes sont différentes. Ensuite, l’opposition faite entre la France et l’Allemagne permet de présenter le seul moment où la “nation” s’est sentie unie, “c’est quand, il y a seize ans, nous voulions enfin nous délivrer des Français” . Ici, l’auteur fait référence à la campagne d’Allemagne, et plus précisément à la bataille de Leipzig, les 16 et 19 octobre 1813, aussi appelée « bataille des Nations ». Cette dernière a lieu lors des guerres napoléoniennes. Les peuples germaniques souhaitent se débarrasser de la domination de la France.
Ainsi, le nationalisme allemand se développe tout au long du XIXe siècle. D’abord, avec des poètes tels que Arndt, Koerner et Rückert”
Arndt s’est battu pour le droit des peuples pour l’indépendance nationale et s’est donc opposé à Napoléon. Il publie notamment en 1813, année de la bataille des Nations, Le Rhin, fleuve d’Allemagne et non sa frontière. Quant à Koerner, il peut s’agir de Christian Gottfried Koerner ou de son fils, Theodor Koerner. Le premier est correspondant de Goethe. Écrivain, il est aussi conseiller du gouvernement russe lors de la bataille de Leipzig en 1913. Le second, et plus probablement celui dont parle Goethe, est Theodor Koerner. Également écrivain, il s’est battu aux côtés de Arndt. Il a d’ailleurs écrit le poème “La chasse sauvage de Lützow” qui dépeint la lutte contre l’oppression étrangère et dont le titre tire son origine de la mythologie germanique. C’est donc un texte en faveur d’un nationalisme allemand. Enfin, Rückert est un poète orientaliste. En 1814, il écrit les Geharnischte Sonette, poèmes patriotiques dans lesquels il exhorte les Prussiens à combattre Napoléon. Cependant, Goethe affirmait qu’ils ne peuvent pas être des “poète[s] politique[s]”.
Béranger” (l.1, doc.1). Un chansonnier français est élevé chez sa tante. étudia à l’institut laïque de M. Ballue de Bellenglise où il apprend les maximes révolutionnaires. Admirateur de Napoléon, il désapprouve pourtant l’ampleur de son pouvoir. Plusieurs de ses écrits sont censurés et il est condamné. Sa peine fait de lui un héros national, notamment au moment de la révolution de Juillet. C’est pourquoi Goethe dirait : “ce qu’il chante a un intérêt national. A l’époque, Pierre Jean de Béranger est un poète populaire : il peut être considéré comme la voix du peuple, si bien qu’il a été placé au-dessus de Alphonse de Lamartine ou de Victor Hugo. En outre, le nationalisme se retrouve lors de l’inauguration du monument à Goethe à Francfort-sur-le-Main, en 1844. Sur la gravure, nous pouvons voir qu’au moment de l’inauguration, la statue était encadrée par deux drapeaux. La photocopie en noir et blanc nous permet seulement de savoir qu’ils sont composés d’une bande claire au-dessus d’une bande sombre. Cela correspond peut-être au drapeau de la Thuringe. Cette dernière était un Etat qui s’est divisé en plusieurs Etats saxons, dont le duché de Saxe-Weimar-Eisenach, à la fin du Moyen Âge. Au XIXe siècle, elle n’est plus qu’un concept géographique et n’a plus de réalité politique ni administrative. La présence de son drapeau pourrait être le témoin d’une volonté d’unification.
Durant cette période politique troublée, Goethe est à Weimar. Il a en effet quitté Francfort-sur-le-Main pour vivre dans le duché en 1775. Là, il se lie d’amitié avec le duc Carl Auguste et accepte diverses charges politiques. Dans un premier temps, les membres de la cour de Weimar désapprouvent la montée rapide au pouvoir de ce jeune écrivain, qui, d’après eux, semble avoir une mauvaise influence sur Carl Auguste. Les premières années sont ponctuées de fêtes, de voyages, de petites bêtises, plus que de la gestion du duché. Au contraire, Goethe affirme qu’il ne s’est “permis aucune distraction” dans ses conversations avec Eckermann. Il y a probablement ici une volonté d’affirmer sa légitimité et son sérieux dans l’exercice de ses diverses fonctions politiques, telles que directeur de la commission des ponts et chaussées en 1777, puis de la commission de la guerre en 1779, pour n’en citer que quelques-unes. Il Renvoya une image sérieuse et légitime et semblait déjà être l’objectif en 1822, lorsque le peintre Heinrich Christoph Kolbe réalisa un portrait de Goethe. Ce dernier est représenté sur un fond uni. Il porte des habits sobres : un haut blanc recouvert d’un manteau noir. Il s’agit là de couleurs simples portées à l’époque par les bourgeois. Il convient de rappeler que Goethe est issu d’une famille bourgeoise. Paradoxalement, la simplicité de la tenue s’accompagne de plusieurs décorations. Sur le revers de son par-dessus, on observe Goethe portant la croix de la légion d’honneur. En effet, Napoléon lui a remis cette décoration le 13 octobre 1808 à Erfurt, par l’intermédiaire de Maret et du conseiller von Müller. Goethe s’était rendu dans la ville afin d’assister aux spectacles de la Comédie-Française prévus par l’Empereur dans le but de nouer une alliance avec le tsar Alexandre Ier de Russie. Napoléon et Goethe ont alors eu l’occasion de discuter à plusieurs reprises et l’Empereur a fort apprécié la compagnie du poète. Il déclara même : “Monsieur Goethe, vous êtes un homme !”, montrant ainsi son respect et son admiration pour l’écrivain. En outre, Goethe portait également la croix de Sainte-Anne qui lui a été remise par le tsar de Russie, deux jours après avoir reçu la Légion d’honneur. Ensuite, sur le portrait, Goethe arbore l’insigne de la franc-maçonnerie. Cette société regroupe d’abord au Moyen Âge des architectes. A partir du XVIe siècle, elle réunit des membres du clergé, de la noblesse et de la bourgeoisie interprétant de manière philosophique et scientifique les rites et les symboles de la maçonnerie traditionnelle. La fraternité et le secret y occupent une place importante. Goethe la rejoint en juin 1780. Enfin, la lumière est dirigée sur le visage vieillissant du poète. Ce dernier a le front dégarni, des cheveux gris et quelques rides. L’insistance sur son âge peut être la volonté de souligner une certaine sagesse.
Si Goethe est donc un homme politique, il est aussi un homme d’esprit, cultivé dans bien des domaines. Autrement dit, Goethe est un polymathe. Il s’intéresse à “la vie de l’homme, et [à] l’histoire, et [à] la nature, et [à] l’art” .Premièrement, il s’intéresse aussi bien à la science qu’aux cultures orientales. Ses fonctions à la cour de Weimar ne l’empêchent pas de s’adonner à divers travaux scientifiques. C’est d’ailleurs lui qui découvre l’os intermaxillaire, reliant la lignée humaine aux lignées animales, et qui crée en 1822 le mot “morphologie” à partir des termes grecs morphé (“forme”) et lógos (“parole, discours”). En outre, “Goethe avait observé pour ainsi dire toutes les langues” . En effet, Goethe s’intéresse à de nombreuses cultures et écrit dans plusieurs langues différentes, telles que le français, l’italien, le latin ou l’anglais. Une œuvre représentative de ce mélange des cultures est le “Divan de l’Orient et de l’Occident” avec laquelle il a “allié l’Asie et l’Europe” (l.27, doc.2). Le terme divan ou diwan désigne un recueil de poèmes dans la langue arabe, ou persane et ottomane. Goethe le découvre en 1814, à travers l’œuvre de Hafiz, un poète persan du XIVe siècle. Le deuxième livre du Divan de l’Orient et de l’Occident s’intitule d’ailleurs Le Livre de Hafiz”. En outre, l’article de la Nouvelle Revue germanique affirme que “l’étude et la traduction [de] toutes les langues et [de] toutes les formes de langage est le signe d’une “Europe civilisée” . Ainsi, l’intérêt pour les autres cultures semble être un critère de distinction, ce qui peut expliquer que le voyage en Italie, le Grand Tour, soient un passage obligatoire pour les artistes depuis le XVIIe siècle. les artistes vont jusqu’en Grèce ou en Perse. L’intérêt pour l’Orient se développe.
Avec ses voyages et le développement de l’archéologie, l’intérêt pour l’Antiquité croît également. On découvre grâce à lui davantage sur les “anciens philosophes”.
Goethe est un collectionneur d’œuvres d’art. Sa maison en regorge tellement elle a pu être transformée en musée en 1885. La salle de Junon, visible sur la photographie de Klaus Lenhartz en 1904, en fait partie. Au premier plan, nous pouvons voir une table sur laquelle repose une statuette. La silhouette de celle-ci ressemble à celle du poète. Une autre représentation de Goethe est peut-être disponible dans cette salle : le troisième tableau sur le mur de droite. A gauche, le buste de Junon est fait dans de la glaise. Il a été réalisé selon les canons gréco-latins. Quant aux autres tableaux, ils représentent, pour la plupart, des scènes de vie des Grecs et des Romains de l’Antiquité. La porte de cette salle est alignée avec les autres portes. Cela donne une impression de profondeur, voire d’une infinité de pièces, comme s’il fallait une éternité pour contempler l’ensemble des œuvres. Nous mettons cet effet en parallèle avec l’immortalité de l’art, des sujets des œuvres, mais également de l’artiste lui-même. En effet, dans le cas de Goethe, son nom est encore connu de nos jours. D’une certaine manière, l’art rend le poète immortel.
Nous savons qu’à la fin de sa vie, Goethe a fait du tri. Il a sélectionné ce qu’il souhaitait laisser à la postérité. En effet, le poète a fait l’objet d’une mythification. Ce processus est d’abord initié par la figure même du poète. Figure sacrée, il est inspiré par Dieu ou par les dieux. Cela est visible dans la gravure du tableau La muse de Goethe, peint par Wilhelm von Kaulbach en 1860. Goethe y est représenté agenouillé, auréolé, et les bras ouverts en direction d’une femme ailée, vêtue d’un drap. Cette dernière tient dans sa main gauche une couronne de laurier qu’elle semble déposer sur la tête du poète. Cette scène fait probablement référence à la mythologie antique, et plus précisément au couronnement du poète par la muse d’Apollon décrit dans les Odes du poète latin Horace : “O Melpomène ! […] viens en souriant ceindre ma tête du laurier d’Apollon” (Horace, Ode III, 30). Melpomène est la muse du chant et de la tragédie ; Apollon est le dieu des arts, en particulier de la poésie. En effet, dans l’Antiquité, le poète, nommé aède chez les Grecs, est inspiré par les dieux. En outre, la scène semble se dérouler au sommet d’une montagne. Le sacre du poète au sommet d’une montagne est un topos. Cependant, sur cette gravure, le poète est représenté auréolé, ce qui est un symbole chrétien. L’association de deux croyances différentes, c’est-à-dire le syncrétisme, reflète la pensée de Goethe, présentée dans la partie précédente de ce commentaire. La religion monothéiste est également présente De fait, Goethe, cité par Eckermann, déclare : “chacun fait […] suivant ce que Dieu lui a départi” ; puis “ce que la nature m’avait donné comme oeuvre de mes jours” .Ainsi, Goethe présente sa fonction de poète comme une mission qui lui a été confiée par Dieu lui-même.
Tout cela participe à une forme de sacralisation du poète que nous retrouvons dans l’article de la Nouvelle revue germanique : recueil littéraire et scientifique. D’une part, le rédacteur de l’article utilise un vocabulaire religieux pour qualifier Goethe. D’abord, Chrysostome est une épithète attribuée aux Pères de l’Eglise, en référence à Jean Chrysostome, un orateur. Ce terme vient du grec khrusós, « or », et de stóma, « bouche », d’où l’expression “bouche d’or”.. Ensuite, Goethe est qualifié de “grand-prêtre” . Il s’agit d’un homme d’Église placé au-dessus des prêtres dans la hiérarchie. Ainsi, l’hommage à Goethe prend une valeur religieuse, et donc sacré. La fonction de poète est comparée aux rôles des plus importants de l’Eglise, accentuant ainsi la dimension sacrée du poète mais également le rôle fondateur de Goethe dans l’élaboration d’une culture allemande. En outre, le corps de Goethe est porté à sa dernière demeure avec le même cérémonial que les membres de la maison régnante . lui accorde-t-on les mêmes honneurs que ceux des rois?
En effet, puisque son corps est exposé au public, dans sa maison surnommée “maison du Frauenplan”, à la journée du 26, vêtu de blanc, une couronne de lauriers sur sa tête. Il est enterré durant l’après-midi à la crypte princière. Une importante foule est présente et l’éloge funèbre est prononcé par le superintendant Röhr. Ainsi, le poète est successivement élevé au rang de membre de la famille royale, et de Père de l’Eglise. Cela renforce la dimension sacrée attribuée à la figure du poète.
La légende s’installe autour de Goethe et, plusieurs années plus tard, les hommages se poursuivent. Une statue à son effigie est érigée dans sa ville natale, comme en témoigne la gravure représentant l’inauguration du monument à Goethe à Francfort-sur-le-Main, réalisée en 1844. Elle s’inscrit dans un contexte de développement, au XIXe siècle, du nationalisme allemand, qui passe notamment par la promotion des arts et de la culture allemandes. Goethe étant un monument de la littérature allemande, l’érection d’un monument le représentant dans un tel contexte semble logique. Le poète est représenté debout, une couronne de laurier à la main. En outre, une foule importante est présente lors de l’inauguration, révélant ainsi la popularité de Goethe, ou du moins l’union d’un peuple qui se veut allemand. Des enfants ont grimpé dans les arbres de la place afin, sans doute, de mieux voir la statue. La foule est si grande qu’elle recouvre toute la place. Seul l’espace face à la statue n’est pas encombré, probablement pour mettre en valeur cette dernière sur la gravure. La foule est composée à la fois d’hommes, de femmes et d’enfants. Au premier plan, nous observons des hommes en tenue militaire. Ce sont des soldats. Des gens sûrement aisés sont également représentés. En effet, les hommes portent des chapeaux haut-de-forme et celui le plus à gauche est ventripotent. Autrement dit, il s’agit d’hommes ayant les moyens de s’habiller élégamment et de manger à leur faim. Toujours en bas à gauche de la gravure, une femme tient une petite fille par la main et une autre porte un châle. Tous ont le regard tourné vers la statue. En outre, à sa mort en 1885, Walther von Goethe, petit-fils du poète, lègue par testament tous ses biens au duché, y compris les manuscrits et les ouvrages de son grand-père à la grande-duchesse Sophie qui fonde alors les Archives Goethe”. Cela permet aussi au grand-duc Carl Alexandre de convertir la maison du poète-collectionneur en musée. Une photographie est faite d’une de ses salles, dite “de Junon”, en 1904. Ce musée est encore ouvert de nos jours.